Le travail posté et le travail de nuit concernent plusieurs millions de personnes. Ouvriers, soignants, conducteurs, agents de sécurité ou employés de services : tous partagent des rythmes décalés, souvent peu compatibles avec les besoins du corps humain. Depuis plusieurs années, les études pointent un lien entre ces horaires atypiques et un risque accru de surpoids ou d’obésité.
Les dernières données publiées entre 2023 et 2025 confirment cette tendance et permettent d’en comprendre les mécanismes. Elles ouvrent aussi des pistes pour mieux prévenir ces effets.
Les chiffres confirment un risque réel
Une large synthèse d’études internationales menée en 2023 montre que les travailleurs postés présentent un risque de surpoids plus élevé de 25 % par rapport aux autres. Pour l’obésité, l’augmentation est de 17 %. Ces chiffres confirment ceux déjà établis dans les années précédentes. En 2024, une étude spécifique sur plus de 36 000 infirmières a mis en évidence un risque encore plus marqué chez les femmes ménopausées travaillant de nuit : +23 % de prise de poids. Ce sur-risque est donc réel, constant, et semble s’aggraver dans certaines populations.
Toutes les formes de travail posté n’ont pas les mêmes conséquences. Le travail de nuit, lorsqu’il est permanent, paraît plus néfaste que les rotations. Le risque d’obésité abdominale est, par exemple, 35 % plus élevé chez ceux qui travaillent exclusivement la nuit. En revanche, les rotations, si elles sont régulières et bien organisées, limitent en partie les effets négatifs. Cela montre que le corps humain peut s’adapter à certaines formes de décalage horaire, mais qu’un dérèglement prolongé est plus difficile à compenser.
Plus on reste longtemps en horaires décalés, plus les risques augmentent
Les études récentes ont permis de mieux cerner la notion de « dose » d’exposition. Après 20 ans en travail posté, le risque de développer un syndrome métabolique complet devient significatif. Cela comprend une prise de poids, mais aussi des troubles comme l’hypertension, une élévation du sucre dans le sang, ou des anomalies lipidiques. Ce seuil des 20 ans pourrait devenir une référence pour orienter les politiques de prévention en entreprise.
Pourquoi le travail posté favorise-t-il la prise de poids ? Les réponses deviennent plus claires grâce aux avancées en biologie et en chronobiologie.
- Le premier facteur identifié est hormonal. La leptine, qui régule la sensation de satiété, diminue. La ghréline, qui stimule l’appétit, augmente. Résultat : on mange plus, souvent des aliments riches en calories, en particulier pendant la nuit. Le taux de cortisol, hormone liée au stress, reste également élevé. Cela stimule le stockage des graisses, surtout au niveau abdominal.
- Autre facteur important : l’inflammation chronique. Même à bas niveau, une inflammation constante peut perturber le métabolisme et favoriser la prise de poids. Des marqueurs comme la CRP ou l’interleukine-6, habituellement peu présents, sont retrouvés en quantités plus importantes chez les travailleurs postés.
- Le microbiote intestinal semble lui aussi perturbé. La diversité des bactéries diminue, la barrière intestinale devient plus perméable, et la digestion des nutriments s’en trouve modifiée. Cette « dysbiose » favorise aussi l’inflammation.
- Enfin, un nouveau syndrome a été identifié : le « syndrome circadien ». Il se distingue du classique « syndrome métabolique ». Il regroupe des troubles liés à une rupture durable des rythmes biologiques : sommeil de mauvaise qualité, dérèglement hormonal, inflammation légère mais persistante. C’est une nouvelle clé de lecture pour mieux comprendre les effets du travail décalé.
12 heures par jour assis
Avec l’essor du télétravail depuis la crise sanitaire, une partie des travailleurs postés sont désormais exposés à une double contrainte : des horaires décalés et une forte sédentarité à domicile. Les données de 2024 indiquent qu’un adulte passe en moyenne 12 heures par jour assis lorsqu’il travaille. Chez les travailleurs postés, cette durée est parfois encore plus élevée, en raison des temps de transport ou des postes peu actifs.
Des différences selon le sexe sont également observées. Chez les femmes, les effets du travail posté sont souvent plus marqués, notamment après la ménopause. Cela s’expliquerait par une interaction entre les hormones sexuelles et les perturbations du rythme biologique.
Les mécanismes biologiques à l’origine du surpoids
Bonne nouvelle : des approches efficaces commencent à se dessiner. Une étude conduite en 2025 montre que le jeûne intermittent, adapté aux horaires de nuit, peut favoriser la perte de poids. 61 % des participants ont obtenu des résultats significatifs, à condition que le protocole soit bien adapté à leur rythme. D’autres recommandations incluent le respect du bon timing alimentaire, la supplémentation ciblée (en vitamine D ou en mélatonine, par exemple) et une bonne hydratation.
Les objets connectés apportent aussi des outils intéressants. Montres intelligentes, applications de suivi du sommeil ou de l’activité physique permettent un accompagnement en temps réel. L’objectif : repérer les premiers signes de dérèglement et adapter rapidement les comportements.
Pour lutter contre la sédentarité, les recommandations actuelles conseillent de faire une pause active toutes les 30 minutes, de limiter le temps assis à 5 heures par jour, et de favoriser une activité physique régulière, même modérée.
Que peuvent faire les employeurs et les professionnels de santé ?
Limiter l’exposition est une priorité. Mieux vaut ne pas dépasser 20 ans de travail posté sur l’ensemble d’une carrière. Les rotations doivent être courtes et régulières. L’organisation du travail doit aussi tenir compte de la vie familiale, pour éviter l’épuisement à long terme.
Du côté médical, le suivi doit être renforcé. Les bilans classiques (glycémie, cholestérol) restent indispensables, mais de nouveaux marqueurs méritent d’être surveillés : inflammation, qualité du sommeil, équilibre du microbiote. Le syndrome circadien, encore méconnu, doit être mieux identifié et pris en charge. Des campagnes collectives peuvent aussi jouer un rôle important. Formations sur le sommeil, conseils nutritionnels, accompagnement psychologique : toutes ces mesures aident à mieux vivre avec des horaires décalés et à limiter les risques pour la santé.
Le lien entre travail posté et obésité est désormais bien établi. Les données scientifiques sont solides, les mécanismes commencent à être mieux compris, et des solutions efficaces émergent. La prise en compte de ces éléments dans les politiques de prévention devient indispensable.
Réduire les risques liés au travail de nuit passe par une approche globale : organisation du travail, accompagnement individuel, innovations technologiques, et surtout reconnaissance de la spécificité de ces conditions. Pour celles et ceux qui travaillent quand les autres dorment, protéger la santé ne peut plus être une option.