Le dioxyde de titane, référencé sous le code E171, a longtemps été utilisé comme additif alimentaire en Europe. Il servait à blanchir et opacifier bonbons, pâtisseries, chewing-gums, sauces ou soupes. Cette utilisation massive reposait sur sa capacité à améliorer l’aspect visuel des produits, sans altérer leur goût ou texture. Mais des études scientifiques ont progressivement mis en lumière des risques sanitaires majeurs, conduisant à son interdiction dans l’alimentation au sein de l’Union européenne en 2022.
Un revirement scientifique décisif en 2021
Jusqu’en 2021, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) considérait le E171 comme sûr. Mais cette position a basculé à la suite d’une réévaluation approfondie. L’EFSA a reconnu qu’il était impossible d’exclure les effets génotoxiques du dioxyde de titane, c’est-à-dire sa capacité à endommager l’ADN. L’analyse a souligné la présence de particules de taille nanométrique (moins de 100 nanomètres) dans jusqu’à 50 % du E171 utilisé, posant un risque d’accumulation dans les tissus humains.
L’interdiction européenne a été formalisée par le règlement 2022/63, effectif depuis août 2022 après une période de transition. La France avait pris les devants dès janvier 2020, en suspendant l’utilisation de cet additif.
Altérations génétiques et potentiel cancérogène
Le risque le plus préoccupant identifié est celui de la génotoxicité. Des recherches ont montré que le E171, une fois absorbé par des cellules humaines, augmente le stress oxydatif, provoque des altérations de l’ADN et des anomalies cellulaires. Ces effets peuvent être à l’origine de processus cancéreux, bien qu’un lien direct avec des cancers humains reste encore à démontrer.
Inflammation et lésions précancéreuses du côlon
L’Institut national de recherche agronomique (INRA) a publié en 2017 une étude démontrant qu’une exposition chronique au E171 chez les rats entraîne une inflammation du côlon et, dans 40 % des cas, l’apparition de lésions précancéreuses. Lorsque les rats étaient déjà porteurs de telles lésions, le E171 a favorisé leur aggravation. L’additif franchit également la paroi intestinale, se retrouve dans le foie et la circulation sanguine, et perturbe la réponse immunitaire.
Perturbation du microbiote intestinal
Des études plus récentes menées par l’INRAE (ex-INRA) ont établi un lien entre le E171 et des déséquilibres du microbiote intestinal, proches de ceux observés chez les personnes atteintes d’obésité. Ces déséquilibres sont associés à une inflammation chronique de bas grade et à une altération de la tolérance au glucose. Ces effets sont plus marqués chez les sujets mâles exposés.
Une synthèse de la littérature publiée en 2024 dans la revue Médecine confirme que le E171 perturbe profondément l’écosystème intestinal, augmentant le risque de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et de cancers colorectaux.
Troubles du comportement et altérations pulmonaires
Des recherches ont également révélé des effets comportementaux et systémiques. Une étude parue en 2020 dans Food and Chemical Toxicology montre que le E171 induit de l’anxiété chez les souris et favorise la formation d’adénomes, des lésions précancéreuses dans le côlon. Il modifie également la structure de certaines cellules associées aux voies respiratoires, ce qui pourrait avoir des implications pour des pathologies comme l’asthme.
Présence massive dans les laits humains, animaux et infantiles
Une étude coordonnée par l’INRAE, l’AP-HP, le CNRS et le synchrotron SOLEIL, publiée en juillet 2025, a mis au jour un constat alarmant : des nanoparticules de dioxyde de titane sont encore présentes dans des laits animaux, infantiles et humains, malgré l’interdiction alimentaire. Tous les échantillons de lait animal testés (vaches, ânesses, chèvres, bio ou non) étaient contaminés. 83 % des laits infantiles analysés contenaient également du dioxyde de titane.
Chez les dix femmes allaitantes testées, toutes présentaient du dioxyde de titane dans leur lait, avec des concentrations très variables. Cela démontre le passage de l’additif à travers la glande mammaire et souligne un risque d’exposition des nourrissons, même allaités ou nourris avec des produits réputés sûrs.
Une contamination diffuse par d’autres sources industrielles
Cette contamination généralisée s’explique par la persistance du dioxyde de titane dans d’autres produits autorisés : dentifrices, crèmes solaires, médicaments, cosmétiques, plastiques et peintures. Ces sources continuent de libérer des nanoparticules dans l’environnement, avec un effet de dissémination potentielle dans la chaîne alimentaire.
Reconnaissance internationale du risque cancérigène
Depuis 2006, le dioxyde de titane est classé comme « possiblement cancérigène pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), principalement par voie d’inhalation. Ce classement concerne notamment les travailleurs exposés dans l’industrie. Cependant, plusieurs études animales suggèrent que même par voie orale, le dioxyde de titane peut promouvoir des lésions cancéreuses, en particulier dans le côlon.
Des régulations contradictoires à l’échelle mondiale
L’Union européenne a appliqué le principe de précaution en interdisant le E171 dans l’alimentation. En revanche, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni continuent d’autoriser cet additif. La FDA américaine considère toujours le dioxyde de titane comme sans danger pour la consommation.
Ce double standard réglementaire crée un déséquilibre entre les zones géographiques. Certaines multinationales ont anticipé l’interdiction européenne en adaptant leurs formulations, comme Mars ou Tyson Foods, prouvant que des alternatives sont techniquement possibles.
Le secteur pharmaceutique échappe toujours à l’interdiction
Malgré l’interdiction dans les aliments, le dioxyde de titane reste autorisé dans les médicaments. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a reconnu l’existence d’alternatives techniques, mais souligne les difficultés à les généraliser : chaque médicament nécessiterait une reformulation et des études de stabilité. En août 2025, la Commission européenne n’avait toujours pas tranché sur une éventuelle interdiction dans le domaine pharmaceutique.
Des substituts existent mais présentent des limites
Plusieurs alternatives naturelles au dioxyde de titane ont été développées. La société Nactarome a mis sur le marché FiorioNat Swan White, un agent blanchissant à base de matières naturelles. D’autres options incluent l’amidon de riz ou le carbonate de calcium. Cependant, ces substituts peuvent modifier la texture des aliments, altérer leur humidité ou leur stabilité, et ne sont pas toujours compatibles avec tous les types de produits.
Un champ scientifique en évolution constante
Les autorités sanitaires reconnaissent que des incertitudes persistent. En 2024, l’ANSES a rappelé que les preuves de génotoxicité ou de cancérogénicité du TiO₂ sont préoccupantes, mais pas encore définitivement concluantes. Malgré cela, l’accumulation d’indices expérimentaux—stress oxydatif, altérations de l’ADN, lésions précancéreuses, perturbations du microbiote—justifie l’approche de précaution adoptée par l’Europe.