Le gluten peut provoquer une maladie auto-immune grave, la maladie cœliaque. Pourtant, 90 % des malades ignorent leur diagnostic. Enquête sur un angle mort médical.
Environ 1 % de la population française serait atteinte de la maladie cœliaque, soit quelque 700 000 personnes. Pourtant, selon les estimations des experts, seuls 10 à 20 % d’entre elles auraient été diagnostiquées. En clair, près de 9 malades sur 10 vivraient avec cette pathologie sans le savoir. Un paradoxe préoccupant pour une maladie pourtant bien connue, et dont les outils diagnostiques sont à la fois accessibles et fiables. Enquête sur un angle mort médical encore largement ignoré.
Une réaction inflammatoire chronique liée au gluten
Longtemps assimilée à une simple intolérance au gluten, la maladie cœliaque est en réalité une pathologie auto-immune déclenchée par la consommation de gluten chez des personnes génétiquement prédisposées. Elle provoque une réaction inflammatoire chronique de l’intestin grêle, conduisant à une atrophie progressive des villosités intestinales, avec pour conséquence une mauvaise absorption des nutriments.
La prévalence est stable dans les pays occidentaux autour de 1 %, avec une distribution comparable chez l’enfant et l’adulte. Pourtant, cette maladie échappe massivement au diagnostic. En France, entre 80 et 90 % des personnes concernées ne sont pas identifiées, faute de symptômes évocateurs ou d’une démarche diagnostique initiée par les médecins.
Des symptômes sans lien apparent avec le gluten
Car dans une large majorité des cas, la maladie évolue sans signe digestif flagrant. Au lieu de la diarrhée chronique et du ballonnement abdominal classiquement associés à la pathologie, ce sont souvent des manifestations extra-digestives — fatigue chronique, anémie ferriprive, douleurs osseuses, troubles de l’humeur — qui dominent. Dans certains cas, aucun symptôme n’est perceptible : on parle alors de formes « silencieuses », détectées de manière fortuite lors d’un bilan pour une autre pathologie, ou lors d’un dépistage familial.
Des tests au gluten fiables mais rarement prescrits
Le diagnostic de la maladie cœliaque repose sur des tests sérologiques standardisés, fiables et peu invasifs. Le dosage des IgA anti-transglutaminase tissulaire (anti-tTG) constitue le test de première intention, avec une sensibilité et une spécificité supérieures à 90 %. En cas de taux très élevés et de présence d’anticorps anti-endomysium, les recommandations européennes (ESPGHAN 2020) permettent désormais, chez l’enfant, de poser le diagnostic sans recourir à la biopsie.
Malgré cette simplification, ces tests sont encore trop rarement prescrits. Plusieurs facteurs l’expliquent. D’abord, la méconnaissance persistante, chez de nombreux praticiens de première ligne, des formes atypiques de la maladie, et de l’éventail large des présentations cliniques. Ensuite, une tendance à sous-estimer la fréquence réelle de la maladie dans la population générale. Enfin, un recours parfois tardif à la sérologie, après de longues errances diagnostiques.
La conséquence est directe : la maladie est fréquemment diagnostiquée à un stade avancé, parfois après plusieurs années de symptômes inexpliqués ou d’errements thérapeutiques.
Une vigilance inégale face aux effets du gluten
Si les outils existent, leur mobilisation reste inégale. Dans les faits, de nombreux médecins ne pensent pas spontanément à la maladie cœliaque face à des symptômes non digestifs. La formation initiale des professionnels de santé accorde souvent peu de place à cette pathologie, et les recommandations actualisées ne sont pas toujours connues ou appliquées.
Certains profils à risque — notamment les apparentés au premier degré de patients cœliaques, les personnes atteintes d’autres maladies auto-immunes (diabète de type 1, thyroïdite de Hashimoto), ou les enfants présentant un retard staturo-pondéral — devraient faire l’objet d’un dépistage systématique. Ce n’est que rarement le cas.
Dans un contexte de surcharge de la médecine de premier recours, où les consultations sont brèves et les symptômes multiples, il est compréhensible que l’hypothèse cœliaque ne soit pas systématiquement explorée. Mais le coût humain et médical du retard diagnostique justifie un changement de paradigme.
Ignorer l’effet du gluten peut avoir de lourdes conséquences
Le non-diagnostic de la maladie cœliaque ne se résume pas à une gêne passagère. Chez l’enfant, il expose à des retards de croissance, une déminéralisation osseuse, des carences multiples et des difficultés scolaires liées à la fatigue chronique. Chez l’adulte, les conséquences à long terme incluent une ostéoporose, des troubles neurologiques, voire, dans de rares cas, des complications malignes sévères comme les lymphomes intestinaux.
À cela s’ajoute la souffrance liée à l’errance médicale. De nombreux patients se voient prescrire des traitements symptomatiques sans que la cause profonde de leur état ne soit identifiée. Certains finissent par douter d’eux-mêmes, se persuadant que leurs troubles sont « dans la tête ». D’autres abandonnent la quête d’un diagnostic, faute d’écoute ou d’explication convaincante.
Le basculement vers un régime sans gluten, en cas de diagnostic confirmé, permet dans la majorité des cas une amélioration significative des symptômes, une normalisation biologique, et une prévention des complications à long terme.
Vers une meilleure détection des troubles liés au gluten
Pour réduire le sous-diagnostic, plusieurs pistes sont à envisager. D’abord, renforcer la formation des professionnels de santé à la diversité des présentations cliniques. Ensuite, intégrer plus systématiquement la maladie cœliaque dans le raisonnement médical face à des tableaux atypiques : anémie ferriprive inexpliquée, fatigue persistante, troubles digestifs chroniques, ostéoporose précoce, retard de croissance.
Le dépistage ciblé dans les populations à risque, y compris les proches de patients cœliaques, constitue également une stratégie à haut rendement. Enfin, le développement d’outils diagnostiques plus accessibles en première ligne — tests rapides, sérologies en cabinet — pourrait faciliter une prise en charge plus précoce.
Au-delà des médecins, une meilleure information du grand public sur la maladie et ses symptômes est également nécessaire. Car dans bien des cas, ce sont les patients eux-mêmes qui, par leur vigilance, orientent leur praticien vers la bonne piste.