Les dimensions mesurées par la communauté scientifique pour déterminer le niveau de durabilité des modèles alimentaires, même si elles sont nombreuses et variées, ne reflètent pas l’intégralité de celles du cadre conceptuel de l’alimentation durable. La composante environnementale demeure largement surreprésentée au profit des volets sociaux ou sanitaires.
Pourtant, les travaux récents (2024-2025) commencent à intégrer d’autres dimensions telles que la prévention des maladies chroniques, l’impact sur le microbiote, l’accessibilité économique et l’acceptabilité culturelle. Par exemple, une étude portugaise classe désormais les aliments selon leur score de durabilité, qui combine qualité nutritionnelle, impact écologique et coût, révélant qu’à peine 10 % des aliments consommés par les jeunes atteignent une durabilité optimale sous contraintes culturelles et économiques.
Des modèles encore trop centrés sur les pays riches
Il faut également noter la très faible représentation des études issues des pays à revenus faibles et modérés. Cette carence s’avère préoccupante, alors que la FAO et le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires insistent, dans leurs recommandations de 2025, sur l’urgence d’adapter les modèles de durabilité aux contextes des pays du Sud, en intégrant les notions de sécurité alimentaire, d’inclusion sociale et d’égalité femmes-hommes. En France, des appels à projets récents privilégient l’accessibilité pour les publics vulnérables et l’expérimentation territoriale, notamment ultramarine et étudiante.
Les nouvelles approches pour mesurer l’alimentation durable
Le concept d’alimentation durable, apparu au milieu des années 1980, a été défini en 2010 par les experts de la FAO. Il s’agit d’une alimentation qui protège la biodiversité et les écosystèmes, qui est acceptable culturellement, accessible, économiquement loyale et réaliste, sûre, nutritionnellement adéquate et bonne pour la santé, et qui optimise l’usage des ressources naturelles et humaines. Sa complexité explique la difficulté à en effectuer une mesure globale, et justifie le recours croissant à des modèles analytiques complexes, associant plusieurs dimensions structurelles et comportementales.
En France, l’INRAE travaille sur l’élaboration de filières innovantes : légumineuses, algues, insectes ou fermentation de précision, pour produire des aliments à faible impact environnemental, tout en tenant compte de leur acceptabilité gustative et culturelle. Ces innovations sont modélisées grâce à des outils mathématiques avancés, qui intègrent simultanément des critères nutritionnels, économiques, sociaux et environnementaux, à l’échelle territoriale.
Innovations françaises et internationales en matière de durabilité
Une équipe de chercheurs américains a mené une revue systématique de la littérature afin de déterminer, parmi les dimensions du cadre conceptuel existant de l’alimentation durable (cf. figure), lesquelles sont effectivement utilisées pour quantifier la durabilité des modèles alimentaires ainsi que les méthodes de mesure employées. Cent treize études ont été incluses, dont 92 % centrées sur des données de pays à revenus élevés. Les dimensions mesurées sont variées : l’émission de gaz à effet de serre arrive en tête (63 % des études), suivie de l’utilisation du sol (28 %) ou de la consommation d’aliments d’origine animale (27 %). Pourtant, la mesure de la qualité nutritionnelle (24 %), de l’utilisation d’énergie (23 %) ou d’eau (18 %), du type de pratique agricole (19 %) et de l’approvisionnement local et de saison (16 %) tend à progresser, selon les dernières recherches.
Paris illustre ce mouvement avec son plan d’alimentation durable : restauration collective 100 % bio et locale, deux repas végétariens par semaine, circuits courts, suppression des plastiques, soutien aux filières équitables et gouvernance associant citoyens, familles, chercheurs et professionnels. Ce travail collectif résonne avec la recommandation d’utiliser des démarches participatives et adaptatives, et avec l’idée que les indicateurs de durabilité doivent être contextuels et flexibles.
Du côté méthodologique, la prédominance de l’analyse du cycle de vie pour mesurer l’impact environnemental est confirmée (59 % des études), mais les approches évoluent vers l’utilisation d’outils de modélisation numérique et d’intelligence artificielle, capables de croiser en temps réel les dimensions de santé, coût, durabilité et acceptabilité.
Concernant les déterminants des choix alimentaires, questionnaires et méthodes qualitatives (entretiens, groupes focaux, observations) se diversifient et s’enrichissent de scores composites associant aspects sensoriels, nutritionnels, économiques et culturels.
Outre le coût pour le consommateur, des études récentes suivent l’expérimentation et l’impact d’options durables dans les écoles, en associant les élèves à l’évaluation : ce sont autant de démarches qui favorisent la gouvernance participative et l’inclusion des premiers concernés.