La consommation de produits frais recule, ce qui révèle une recomposition alimentaire marquée par l’inflation, la durabilité et les fractures sociales.
La consommation de produits frais en France s’inscrit dans un contexte de recomposition profonde. L’attention portée à la souveraineté alimentaire s’est intensifiée, sous l’effet cumulé des crises sanitaires, géopolitiques et climatiques. Ce recentrage redéfinit les priorités des consommateurs et interroge les équilibres entre accessibilité, qualité et engagement. Les Français expriment une confiance marquée envers les agriculteurs (75 %), tandis que les marques agroalimentaires peinent à convaincre (45 %), signalant une rupture croissante avec les circuits industriels classiques.
Malgré un poids encore conséquent dans les dépenses alimentaires (près de 37 %), les produits frais voient leurs volumes de vente diminuer pour la cinquième année consécutive. En 2024, la baisse atteint 1,5 %, confirmant leur rôle de variable d’ajustement dans les budgets des ménages. L’inflation persistante et la pression financière conduisent de nombreux consommateurs à reconfigurer leurs achats alimentaires. Les fruits, légumes, viandes et poissons laissent place à des denrées plus stables et économiques, telles que les œufs, les pâtes ou le riz, moins exposées à la volatilité des prix et plus simples à conserver.
Les fractures générationnelles autour de la cuisine maison
Les inégalités face à la consommation de frais ne relèvent pas seulement de critères économiques, mais aussi générationnels. Les seniors, bénéficiant souvent d’un pouvoir d’achat plus stable et d’une culture culinaire solidement ancrée, demeurent les principaux défenseurs du produit brut et de la cuisine faite maison. À l’opposé, les jeunes ménages, davantage contraints par le temps et éloignés des codes culinaires traditionnels, réduisent leur consommation de produits frais. Le reflux de la dynamique enclenchée pendant les confinements de 2020–2021 confirme cette tendance : le regain d’intérêt pour l’alimentation observé durant la pandémie n’a pas survécu à la reprise d’un rythme de vie accéléré.
L’essor des circuits courts et du localisme alimentaire
Face à cette évolution, certains acteurs tirent leur épingle du jeu. Les enseignes spécialisées dans le frais, comme Grand Frais, enregistrent une progression significative. En 2024, plus de 344 000 nouveaux clients ont rejoint l’enseigne, avec une fréquence d’achat annuelle avoisinant les 10,3 visites et un panier moyen de 25 euros. Cette performance s’explique par une attente renforcée en matière de qualité, de traçabilité et de proximité. Le consommateur cherche des repères fiables dans un marché perçu comme opaque. Le succès de ces enseignes témoigne d’un besoin croissant de réassurance, notamment via des circuits d’approvisionnement identifiés et contrôlés.
La montée en puissance du locavorisme marque une évolution structurelle des comportements. En 2025, 54 % des Français privilégient les produits locaux, et cette tendance s’ancre désormais dans les pratiques de consommation durable. Les circuits courts gagnent du terrain, y compris dans la restauration, où l’origine précise des produits s’impose comme critère de sélection. La traçabilité, appuyée par des technologies comme la blockchain, devient un vecteur central de confiance. Dans le même temps, la demande pour des aliments sans pesticides progresse, renforçant la pression sur les producteurs pour répondre à des standards à la fois environnementaux et sanitaires.
La transition alimentaire et ses nouvelles sources de protéines
La transition alimentaire se traduit aussi par une réorientation des régimes. Environ neuf millions de foyers français ne consomment plus de viande. La progression des régimes flexitariens, végétariens et végétaliens s’accompagne d’un intérêt croissant pour les protéines végétales innovantes : algues, chanvre ou encore viandes cultivées. Ces alternatives s’intègrent progressivement dans les pratiques, notamment en restauration, où elles répondent aux nouvelles attentes éthiques et nutritionnelles. Ce déplacement du centre de gravité alimentaire pose de nouveaux défis en termes d’offre, de logistique et de normalisation.
Digitalisation et durabilité : deux leviers de transformation
Loin d’être éclipsé par les contraintes économiques ou les injonctions de durabilité, le plaisir alimentaire s’affirme comme un moteur de consommation. La recherche de réconfort se traduit par une hausse marquée des ventes de produits de snacking (+25 %) et de chocolat (+10 %). Cette dynamique ne relève pas seulement de l’instantanéité : elle s’ancre dans une quête d’expériences sensorielles et de mémoires gustatives. De nombreux restaurateurs réorientent leur offre vers une gastronomie émotionnelle, valorisant à la fois la qualité des produits et l’histoire qu’ils véhiculent.
La transformation du secteur alimentaire s’appuie de plus en plus sur la digitalisation. Bornes de commande, menus interactifs, traçabilité numérique : les outils technologiques facilitent l’information et la personnalisation de l’offre. Parallèlement, la lutte contre le gaspillage devient un axe stratégique. La réglementation sur le tri des biodéchets impose de nouvelles pratiques, tandis que les partenariats avec les plateformes anti-gaspi se multiplient. Le modèle alimentaire se réorganise autour de la valorisation des invendus et d’une gestion plus fine des ressources.