Les recommandations nutritionnelles jouent un rôle central dans la prévention des carences, le maintien de la santé et l’élaboration des politiques publiques. Depuis 2016, la France a opéré une refonte de ses normes nutritionnelles, abandonnant le concept d’Apports Nutritionnels Conseillés (ANC) au profit d’un cadre plus précis : les Références Nutritionnelles pour la Population (RNP). Ce changement s’inscrit dans une démarche de rigueur scientifique, alignée sur les standards internationaux.
Cadre français : évolution des références nutritionnelles (ANSES, 2016-2021)
Entre 2016 et 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) a entrepris une révision complète des ANC. Le terme a été abandonné au profit de plusieurs concepts distincts : la Référence Nutritionnelle pour la Population (RNP), l’Apport Satisfaisant (AS), l’Intervalle de Référence (IR) et la Limite Supérieure de Sécurité (LSS).
La RNP représente l’apport qui couvre les besoins de 97,5 % de la population, en s’appuyant sur une distribution normale des besoins. Elle est calculée à partir du Besoin Nutritionnel Moyen (BNM), auquel sont ajoutés deux écarts-types (soit environ 1,3 fois le BNM, avec un écart-type estimé à 15 % du BNM).
L’AS est utilisé lorsque les données expérimentales sont insuffisantes pour estimer une distribution normale des besoins. Il repose alors sur l’observation de populations en bonne santé. L’IR s’applique à certains nutriments exprimés en pourcentage de l’apport énergétique total, comme les lipides ou les glucides.
Pour les adultes en bonne santé âgés de 18 à 75 ans et ayant un niveau d’activité physique médian (NAP = 1,63), les références nutritionnelles couvrent l’ensemble des macro et micronutriments. Par exemple, les besoins énergétiques moyens sont estimés à 2 600 kcal/jour pour les hommes et 2 100 kcal/jour pour les femmes. Les protéines sont recommandées à raison de 0,8 g/kg de poids corporel par jour. Les lipides doivent représenter 35 à 40 % de l’apport énergétique total, les glucides entre 45 et 60 %, tandis que les fibres alimentaires doivent atteindre 30 g par jour. Les apports hydriques sont fixés à 2,5 litres par jour pour les hommes et 2 litres pour les femmes.
Les apports recommandés sont également précisés pour chaque vitamine (A, D, E, K, B1 à B12, C, choline) et chaque minéral ou oligo-élément (calcium, fer, magnésium, zinc, cuivre, sélénium, iode, manganèse), avec des distinctions selon le sexe lorsque nécessaire.
Vision internationale : convergences et spécificités
Le rapport conjoint FAO/WHO, publié en 2004 à la suite d’une consultation d’experts en 1998, constitue une base de référence internationale. Il définit le Recommended Nutrient Intake (RNI) comme l’apport satisfaisant les besoins de 97,5 % des individus d’un groupe défini par l’âge et le sexe, selon une distribution normale des besoins.
Ce document repose sur quatre approches méthodologiques : la prévention de la carence, l’équilibre nutritionnel, les réponses fonctionnelles et la prévention des maladies chroniques. L’une de ses contributions majeures est d’avoir élargi les critères au-delà de la simple prévention des carences pour inclure la réduction du risque de pathologies liées à la nutrition.
Il couvre 19 micronutriments, dont les vitamines A, C, D, E, K, les vitamines du groupe B, ainsi que des minéraux clés. Certaines recommandations sont accompagnées de précautions : l’apport en calcium est jugé difficile à atteindre sans produits laitiers, les besoins en fer augmentent chez les femmes en âge de procréer, et une supplémentation en folates est recommandée pour prévenir les malformations du tube neural. Le sélénium, quant à lui, fait l’objet d’un intérêt croissant en raison de ses propriétés antioxydantes.
À l’échelle européenne, l’EFSA (European Food Safety Authority) fournit les avis scientifiques sur lesquels s’appuient les recommandations nutritionnelles des États membres. Son rôle est consultatif et non contraignant. Elle utilise une terminologie harmonisée : AR (Average Requirement) pour le besoin moyen, PRI (Population Reference Intake) pour la référence nutritionnelle de population, UL (Upper Level) pour la limite supérieure de sécurité.
Les avis de l’EFSA s’appuient sur une revue systématique de la littérature, avec évaluation de la qualité des études et du poids de la preuve. Les recommandations sont adaptées au contexte européen, incluant des éléments comme la faible exposition solaire en hiver dans certaines régions, qui impacte l’évaluation des besoins en vitamine D.
Clarifier les termes
L’un des enjeux majeurs dans l’usage des références nutritionnelles réside dans la clarté terminologique. Depuis 2016, l’ANSES a précisé la signification des différentes références :
- La RNP correspond à un apport couvrant 97,5 % de la population, calculé à partir du BNM et de l’écart-type.
- L’AS est une valeur empirique utilisée quand les données ne permettent pas d’estimer une distribution normale.
- Le BNM, bien qu’il constitue le pivot du calcul, n’est jamais recommandé en pratique, car trop faible pour une partie de la population.
- L’IR est un intervalle exprimé en pourcentage de l’apport énergétique, par exemple pour les lipides ou les glucides.
- La LSS ou UL désigne la limite maximale d’un apport chronique sans effet indésirable identifié. Elle n’est pas fixée pour tous les nutriments, faute de données suffisantes.
Une représentation graphique de la distribution des besoins illustre bien cette hiérarchie : le BNM au centre de la courbe, la RNP à +2 écarts-types, et l’AS en dehors de cette logique probabiliste, basé sur des observations empiriques.
Données empiriques : état des lieux avec INCA 3
L’étude INCA 3 (2017), conduite par l’ANSES, fournit des données détaillées sur les habitudes alimentaires des Français. Elle repose sur un échantillon représentatif d’adultes (18-75 ans) ayant renseigné trois journées complètes de consommation.
Ces données permettent de comparer les apports réels aux RNP définies. Plusieurs lacunes importantes ont été identifiées. Plus de 85 % des adultes ne consomment pas assez de légumineuses, environ 72 % sont en dessous des recommandations en fruits et légumes, et plus de 60 % ne consomment pas régulièrement de céréales complètes. L’apport moyen en EPA + DHA (oméga-3 longue chaîne) est très largement inférieur aux 500 mg/jour recommandés.
Ces résultats ont été intégrés aux révisions des repères nutritionnels du Programme National Nutrition Santé (PNNS), assurant leur applicabilité à la réalité des pratiques alimentaires.
Populations spécifiques : ajustements liés à l’âge
L’ANSES a publié des recommandations spécifiques pour les femmes ménopausées (à partir de 51 ans) et les hommes de plus de 65 ans. Le métabolisme de base diminue avec l’âge, ce qui se traduit par une réduction modérée des besoins énergétiques à NAP constant. Par exemple, une femme de plus de 65 ans avec un NAP de 1,63 aura un besoin énergétique d’environ 1 878 kcal/jour, contre 2 100 kcal pour une femme de 18 à 59 ans.
L’apport en protéines est relevé à 1 g/kg de poids corporel pour les plus de 65 ans, afin de prévenir la perte de masse musculaire (sarcopénie). Les repères pour les fibres et certains minéraux comme le calcium restent inchangés, mais leur couverture devient plus difficile en cas de diminution de la consommation.
La vitamine D devient un enjeu particulier. Sa synthèse cutanée diminue avec l’âge, et l’apport recommandé de 15 µg/jour est jugé insuffisant en pratique, justifiant une supplémentation systématique chez les personnes âgées.
La vitamine B12 est également concernée : son absorption diminue avec l’âge, et une supplémentation ciblée peut être envisagée. Enfin, l’augmentation du niveau d’activité physique (NAP > 1,63) peut permettre de compenser partiellement la baisse du métabolisme de base.
Il est à noter que ces recommandations ne s’appliquent pas aux personnes fragiles, dénutries ou atteintes de pathologies chroniques. Ces situations nécessitent une prise en charge nutritionnelle individualisée.
Accès aux sources et mises à jour
Les principales références sont accessibles en ligne, sur les sites officiels :
- ANSES (www.anses.fr) : rapports complets sur les références nutritionnelles, avis par population spécifique, étude INCA 3
- EFSA (www.efsa.europa.eu) : avis scientifiques, fiches par nutriment, mises à jour régulières
- FAO/WHO (www.fao.org, www.who.int) : rapports techniques, recommandations mondiales
Tous ces organismes s’appuient sur des groupes d’experts aux compétences variées, avec publication transparente des déclarations d’intérêts. Les documents sont révisés à intervalles réguliers, selon l’évolution des connaissances scientifiques. Les légères différences d’une institution à l’autre tiennent à la méthodologie ou au contexte de population, sans remise en cause des principes de base.
La compréhension des références nutritionnelles suppose une lecture rigoureuse des définitions, des méthodologies sous-jacentes et des contextes d’application. L’ANSES, la FAO/WHO et l’EFSA fournissent un socle commun fondé sur la couverture des besoins de la quasi-totalité d’une population en bonne santé. La distinction entre RNP et AS, l’importance du BNM, la mise en place d’IR et de LSS répondent à des objectifs complémentaires.
Les données de consommation réelle, comme celles de l’étude INCA 3, permettent d’identifier les écarts entre les repères et les pratiques. Elles offrent un appui indispensable à la formulation de politiques de santé publique réalistes. Enfin, les adaptations pour les personnes âgées rappellent que les recommandations doivent être dynamiques, modulables et contextualisées.