L’acrylamide, un grave danger pour notre santé

02/12/2025

Des taux élevés d’acrylamide persistent dans l’alimentation européenne, en particulier dans les produits pour enfants, malgré les alertes sanitaires et les dispositifs réglementaires.

L’acrylamide, substance chimique classée cancérogène probable, est formée lors de la cuisson à haute température d’aliments riches en amidon. Présente dans une large gamme de produits courants, elle expose chaque jour des millions de consommateurs européens à des niveaux préoccupants. Malgré les alertes répétées des autorités sanitaires et des engagements volontaires de l’industrie, les concentrations observées restent élevées, en particulier dans les produits destinés aux enfants. Cette situation met en lumière les limites de l’autorégulation et la nécessité d’un encadrement plus contraignant.

Les risques de l’acrylamide établis par la science

Depuis 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a identifié l’acrylamide alimentaire comme un facteur susceptible d’augmenter le risque de cancer chez les consommateurs de tous les âges. Cette évaluation repose sur des études animales montrant sa génotoxicité et sa cancérogénicité. L’exposition est jugée d’autant plus préoccupante pour les enfants, chez qui elle est proportionnellement deux à trois fois plus élevée que chez les adultes.

Les recherches les plus récentes accentuent encore les inquiétudes. Une méta-analyse publiée en janvier 2025 dans la revue Nutrients révèle une augmentation de 60 % du risque cardiovasculaire liée à une forte exposition à l’acrylamide, et une hausse de 84 % du risque de mortalité cardiovasculaire. Ces effets seraient en partie dus à la transformation de l’acrylamide en glycidamide, son métabolite réactif, qui favorise le stress oxydatif et l’inflammation.

Des aliments du quotidien fortement contaminés

L’acrylamide se forme principalement à partir de l’asparagine et des sucres réducteurs présents naturellement dans les aliments, lors de la réaction de Maillard, responsable du brunissement et des arômes de cuisson. Cette réaction se déclenche à partir de 120°C et touche de nombreux produits de consommation courante.

Chez les adultes, les produits frits à base de pomme de terre représentent jusqu’à 49 % de l’exposition totale, suivis par le café (34 %) et le pain (23 %). Chez les enfants, les produits de pomme de terre peuvent compter pour près de la moitié de l’exposition. Les taux mesurés dans ces aliments restent très élevés. Des études récentes rapportent des concentrations de 779 à 1 299 μg/kg dans les frites et jusqu’à 3 515 μg/kg dans les chips. En 2023, les analyses du laboratoire CVUA Stuttgart ont révélé des teneurs atteignant 3 500 μg/kg dans certaines chips de légumes, illustrant le manque de contrôle sur les produits émergents.

Une régulation européenne insuffisamment contraignante

Le règlement européen 2017/2158, entré en vigueur en 2018, impose aux opérateurs alimentaires des mesures d’atténuation et fixe des teneurs de référence. Mais ces dernières ne sont pas des plafonds réglementaires : elles servent d’indicateurs de performance, instaurant une obligation de moyens sans obligation de résultats.

Cette souplesse réglementaire se traduit par des résultats mitigés sur le terrain. En France, la DGCCRF souligne que « le risque acrylamide est encore ignoré par certains professionnels, notamment les PME » et que plusieurs produits « dépassent régulièrement les valeurs indicatives ». En 2019, une étude sur 532 échantillons montrait que 13 % des aliments pour bébés, 7,7 % des chips et 6,3 % des biscuits excédaient les teneurs de référence. Une enquête de l’association italienne Il Salvagente a révélé que 30 % des frites testées dépassaient le seuil de 750 μg/kg, atteignant parfois 1 600 μg/kg.

Les enfants, population la plus exposée

L’EFSA estime l’exposition moyenne des enfants entre 0,5 et 1,9 μg/kg de poids corporel par jour, contre 0,4 à 0,9 μg/kg pour les adultes. En Belgique, elle atteint 0,6 μg/kg chez les enfants, soit trois fois plus que chez les adultes (0,2 μg/kg).

Cette surexposition s’explique par les habitudes alimentaires : chips, biscuits, céréales de petit-déjeuner et aliments pour bébés sont largement consommés dans cette tranche d’âge. À poids égal, les enfants ingèrent ainsi environ deux fois plus d’acrylamide que les adultes, ce qui accroît leur vulnérabilité aux pathologies chroniques.

Réduction de l’acrylamide : des solutions techniques éprouvées

Les industriels disposent de plusieurs leviers pour réduire la formation d’acrylamide. L’enzyme asparaginase permet de diminuer les teneurs de 50 à 90 % dans de nombreux produits. La sélection de variétés de pommes de terre pauvres en sucres, le contrôle des conditions de stockage et l’adaptation des paramètres de cuisson constituent autant d’outils efficaces.

Entre 2002 et 2018, les niveaux moyens dans les chips ont été réduits de plus de moitié. La proportion de produits dépassant les teneurs de référence est passée de 40 % à moins de 8 %. Ces résultats montrent que lorsque les moyens sont mobilisés, la réduction de l’acrylamide est techniquement possible.

Des experts demandent des limites contraignantes

Face à la persistance du risque, plusieurs associations, dont Safe Food Advocacy Europe (SAFE), appellent à l’instauration de teneurs maximales légales pour toutes les catégories de produits à risque. Elles recommandent des seuils plus stricts pour les aliments destinés aux enfants : moins de 50 μg/kg pour les aliments pour bébés et une réduction significative pour les biscuits (aujourd’hui fixés à 150 μg/kg). Ces propositions s’appuient sur des données montrant que des niveaux aussi bas que 1 μg/kg sont réalisables avec les technologies actuelles.

Ces recommandations s’inscrivent dans le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable), déjà utilisé pour d’autres contaminants alimentaires.

L’exemption des PME : une faille réglementaire

Le règlement européen prévoit des exemptions d’analyse et d’échantillonnage pour les petites structures locales, afin d’éviter une charge disproportionnée. Mais cette dérogation crée un déséquilibre concurrentiel et une faille sanitaire.

La DGCCRF note que certains professionnels, notamment parmi les PME, ignorent encore le risque. Faute de contrôles systématiques, des produits fortement contaminés peuvent être commercialisés sans surveillance, au détriment des consommateurs.

Un contrôle difficile à généraliser

La mise en œuvre du contrôle de l’acrylamide implique des équipements analytiques sophistiqués et du personnel qualifié. Malgré l’effort consenti par la France en 2024 avec le recrutement de 150 agents supplémentaires à la DGAL et l’objectif d’augmenter de 10 % les inspections, les capacités restent limitées.

La Commission européenne travaille actuellement à la révision du règlement 2017/2158. Elle envisage l’introduction de teneurs maximales contraignantes et l’extension du champ de surveillance à de nouveaux produits comme les chips de légumes et les fruits secs grillés. Cette révision, attendue depuis 2021, accumule toutefois les retards.

Quatre leviers pour renforcer la régulation

Plusieurs mesures sont identifiées comme prioritaires pour renforcer la protection des consommateurs :

– Adoption de teneurs maximales contraignantes, notamment pour les produits destinés aux enfants, avec des seuils revus régulièrement selon l’évolution des capacités technologiques.
Harmonisation européenne des contrôles, avec des protocoles d’échantillonnage communs et un soutien aux capacités analytiques nationales.
Fin des exemptions pour les PME, compensée par un accompagnement financier et technique pour faciliter leur mise en conformité.
Extension de la surveillance aux catégories encore peu contrôlées (chips de légumes, boulangerie artisanale, fruits secs), et durcissement des sanctions en cas de dépassement.

Une autorégulation à bout de souffle

L’acrylamide incarne les limites d’une approche reposant sur la bonne volonté de l’industrie. Malgré deux décennies de sensibilisation, les niveaux d’exposition restent élevés, en particulier pour les publics les plus fragiles. La mise en œuvre de mesures volontaires, sans objectif de résultat, s’est révélée largement insuffisante.

La science, la technologie et l’expérience réglementaire démontrent aujourd’hui qu’une réduction significative de l’acrylamide est non seulement possible, mais nécessaire. Le passage à une régulation ferme et équitable, fondée sur des obligations de résultats, s’impose désormais comme une étape incontournable pour garantir la sécurité alimentaire des citoyens européens.

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Journaliste | Santé & Alimentation

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