Vous êtes-vous déjà emporté contre quelqu’un alors que vous aviez l’estomac vide ? Ou quelqu’un, tiraillé par la faim, s’est-il mis à vociférer contre vous ? Si tel est le cas, vous avez fait l’expérience de la « colère du ventre vide » dite hangry en langue anglaise, un néologisme construit à partir de hungry (être affamé) et de angry (en colère). Son équivalent, en langue française, pourrait être la « colère », contraction de « avoir les crocs » et de « colère ». Il s’agit du phénomène qui pousse certains à se montrer hargneux et à sortir de leurs gonds lorsqu’ils ont le ventre creux.
Qu’est-ce donc que la colère du ventre vide ? Et comment se fait-il que seuls certains individus semblent connaître cet état de « colère » ? Nombreuses sont les raisons pour lesquelles certains deviennent particulièrement grincheux lorsqu’ils ont le ventre creux. Pour comprendre, observons de plus près certains des processus qui se produisent à l’intérieur du corps humain lorsque la faim se fait sentir.
Hypoglycémie = danger de mort, pour le cerveau
Les glucides, les protéines et les lipides présents dans notre alimentation sont transformés, par la digestion, en sucres simples (tel que le glucose), en acides aminés et en acides gras libres. Ces nutriments passent dans la circulation sanguine, qui en assure la distribution aux organes et aux tissus aux fins de la production d’énergie.
À mesure que le temps passe après un repas, le taux de ces nutriments présents dans le sang diminue. En dessous d’un certain niveau de glucose dans le sang (la glycémie), le cerveau va assimiler la situation à un danger de mort. En fait, à la différence de la plupart des autres organes et tissus du corps, qui peuvent utiliser divers nutriments pour continuer à fonctionner, le cerveau dépend dans une très large mesure du glucose pour assurer ses fonctions.
Vous avez déjà probablement constaté le lien de dépendance que le cerveau entretient avec le glucose : tout tend à se compliquer lorsque l’on a faim et que la glycémie chute. On peut avoir de la difficulté à se concentrer, par exemple, ou l’on peut faire des erreurs bêtes. Ou peut-être avez-vous remarqué que l’on commence à bafouiller ou que la langue fourche.
Avoir le ventre vide peut également pousser à sortir des règles de conduite socialement acceptées, comme ne pas aboyer sur les gens. Ventre affamé n’a point d’oreilles, dit le dicton. Et alors que l’on parvient à se maîtriser tant bien que mal et à éviter de ronchonner après des collègues importants, il se peut que l’on baisse la garde et que l’on s’emporte en un rien de temps contre les personnes avec lesquelles nous sommes le plus à l’aise ou que l’on estime le plus, tels nos proches et amis. Je me trompe ?
Outre la diminution du taux de glucose dans le sang, il est une autre réaction qui permet d’expliquer la « colère » : il s’agit de la contre-régulation de l’hypoglycémie. Je m’explique.
Lorsque la glycémie passe en dessous d’un certain seuil, le cerveau envoie à plusieurs organes du corps l’instruction de synthétiser et de libérer des hormones dont le rôle est de faire augmenter le taux de glucose dans la circulation sanguine.
Une libération d’adrénaline
Les quatre principales hormones en charge de la contre-régulation de l’hypoglycémie sont : l’hormone de croissance que sécrète l’hypophyse (glande pituitaire) logée au cœur du cerveau ; le glucagon sécrété par le pancréas ; et l’adrénaline – parfois également appelée épinéphrine – et le cortisol, que sécrètent les glandes surrénales. Ces deux dernières hormones de contre-régulation sont des hormones de stress qui se trouvent libérées dans le sang dans toutes sortes de situations stressantes, et pas uniquement en cas de stress physique dû à une hypoglycémie.
En fait, l’adrénaline est l’une des principales hormones à être libérée dans le sang en réponse à une frayeur, par exemple lorsque l’on voit, entend ou même pense quelque chose qui met en péril notre sécurité (provoquant alors l’adaptation par le combat ou la fuite). De la même façon que l’on peut facilement s’emporter contre quelqu’un sous le coup de la réaction « le combat ou la fuite », la décharge d’adrénaline qui se produit lors de la contre-régulation du glucose peut provoquer une réaction de colère.
Le lien entre la faim et la colère s’explique aussi par le fait que l’une et l’autre sont commandées par des gènes communs. Un des produits de ce type de gène est le neuropeptide Y, une substance chimique naturelle qui se trouve libérée dans le cerveau en cas de sensation de faim. Ce neuropeptide stimule les accès d’appétit en agissant sur plusieurs récepteurs localisés dans le cerveau, dont un en particulier, appelé le récepteur Y1.
En plus d’agir sur le cerveau pour déclencher la faim, le neuropeptide Y et le récepteur Y1 régulent également la colère et l’agressivité. C’est pourquoi les personnes présentant de fortes concentrations de neuropeptide Y dans leur liquide céphalo-rachidien ont tendance à se montrer particulièrement impulsives et agressives.
Comme vous le voyez, il existe plusieurs raisons qui permettent d’expliquer pourquoi l’on ressent de la colère lorsqu’on a faim. La « colère » est bien évidemment un mécanisme de survie au service des humains mais aussi d’autres animaux. À bien y réfléchir, si les organismes affamés gardaient leurs distances et laissaient gentiment les autres manger avant eux, l’espèce risquerait l’extinction.
Des différences selon le milieu culturel
Si différents facteurs physiques contribuent au phénomène de la colère du ventre vide, les facteurs psychosociaux ont également un rôle à jouer : par exemple, selon notre milieu culturel, l’agressivité peut être verbalisée de façon directe ou indirecte.
Et comme nous sommes tous différents face à cet éventail de facteurs, il n’y a pas grand-chose d’étonnant à ce que, la faim au ventre, chacun se montre plus ou moins porté à la colère.
Choisir un aliment qui rassasie
La meilleure façon de faire face à la « colère », c’est de manger un petit quelque chose avant d’éprouver une sensation de faim trop intense. Terrassé par la colère du ventre vide, notre premier réflexe serait de se jeter sur du chocolat ou des chips, alors que ces en-cas sont autant de cochonneries qui entraînent généralement une montée en flèche de la glycémie, puis une chute tout aussi vertigineuse de celle-ci.
Au final, il se peut que nous ayons encore plus faim après. Mieux vaut donc jeter son dévolu sur des aliments naturels, sains et nutritifs, qui aident à se sentir durablement rassasié, sans faire exploser le nombre de calories.
Il se peut que l’on ne puisse pas toujours manger dès que la faim se fait ressentir. C’est le cas par exemple, en cas d’horaires de travail prolongés, en période de jeûnes religieux comme le ramadan ou lors d’un régime amaigrissant très restrictif (tels que les régimes fondés sur le jeûne intermittent). Aucune de ces expériences ne saurait être entreprise sans le feu vert de votre médecin.
En pareilles circonstances, il peut s’avérer utile de se rappeler que le temps passant, la contre-régulation glycémique va faire effet et entraîner la stabilisation de la glycémie. De plus, privé de nourriture, le corps commence à puiser de l’énergie dans ses propres réserves adipeuses, dont une partie est transformée en cétones, le produit du métabolisme de dégradation des lipides. On pense que les corps cétoniques aident à surmonter la sensation de faim du fait que pour pallier le manque de glucose, le cerveau peut utiliser les cétones comme carburant.
Dernière solution pour faire face, de façon tout à fait civilisée, à la « colère » : gérer les situations difficiles après manger, et non avant !
Pour aller plus loin :
Amanda Salis, NHMRC Senior Research Fellow in the Boden Institute of Obesity, Nutrition, Exercise & Eating Disorders, University of Sydney
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