Pourquoi sommes-nous capables de nous relever pour un morceau de chocolat, mais jamais pour une envie de carotte ? L'équipe de Serge Luquet du Laboratoire « Biologie fonctionnelle et adaptative » (CNRS/Université Paris Diderot) a mis en évidence une partie de la réponse : les triglycérides, corps gras d'origine nutritionnelle, pourraient agir dans notre cerveau, directement sur le circuit de la récompense, celui-là même qui est impliqué dans la dépendance aux drogues. Ces résultats publiés le 15 avril 2014 dans Molecular Psychiatry montrent un lien fort, chez la souris, entre les fluctuations de concentration de triglycérides et l'élaboration par le cerveau de la récompense. L'identification de l'action des lipides nutritionnels sur la motivation et la recherche de plaisir de la prise alimentaire permettra de mieux appréhender les causes de certains comportements compulsifs et de l'obésité.
Si l'acte de manger répond à un besoin biologique, il recouvre également, dans nos sociétés modernes, une fonction culturelle et sociale essentielle. Le repas est généralement associé à une forte notion de plaisir, sentiment qui nous pousse vers la nourriture. Parfois dangereusement : 2,8 millions de patients dans le monde meurent, chaque année, des conséquences de l'obésité. Sa cause fondamentale est un déséquilibre entre les calories consommées et celles dépensées. La vie sédentaire associée à l'abondance de denrées sucrées et grasses offrent un terreau fertile à la maladie.
L'organisme utilise sucres et graisses comme source d'énergie. Le cerveau consomme seulement du glucose. Alors pourquoi y trouve-t-on, en son centre et au cœur du mécanisme de la récompense, une enzyme capable de décomposer les triglycérides, lipides notamment issus de l'alimentation ? Question fondamentale sur laquelle s'est penchée une équipe du Laboratoire « Biologie fonctionnelle et adaptative » (CNRS/Université Paris Diderot) dirigée par Serge Luquet, chargé de recherche au CNRS.
Le comportement normal d'une souris est de préférer, si le choix se présente, une nourriture riche en graisses à des aliments plus simples. Pour simuler l'action d'un bon repas, les chercheurs ont développé une approche permettant d'injecter directement vers le cerveau de la souris de faibles quantités de lipides. Ils ont alors observé qu'une perfusion de triglycérides dans le cerveau diminue la motivation de l'animal à actionner un levier pour obtenir une friandise. Quant à son activité physique, elle diminue de moitié. De plus, une souris « perfusée » équilibre son alimentation entre les deux sources alimentaires proposées (nourriture riche en graisses et aliments plus simples).
Afin de s'assurer que ce sont bien les lipides injectés qui modifient le comportement de la souris, les scientifiques parisiens ont fait en sorte qu'ils ne puissent plus être détectés par le cerveau de l'animal. Ils ont réussi à éliminer l'enzyme spécifique aux triglycérides en réduisant au silence son gène codant, et ce, uniquement au cœur du mécanisme de la récompense. L'animal montre alors une motivation accrue pour obtenir une récompense, et, s'il en a le choix, une consommation de nourriture riche nettement supérieure à la moyenne. Ces travaux viennent faire écho aux travaux précédents de leurs collègues1 : une diminution de cette enzyme dans l'hippocampe induit une obésité.
Paradoxalement, en cas d'obésité, les taux de triglycérides circulant dans le sang et donc dans le cerveau, sont plus importants que la moyenne. Or, l'obésité est souvent associée à des comportements de surconsommation d'aliments sucrés et gras. Les chercheurs l'expliquent : en cas de fortes et longues expositions aux triglycérides, la souris affiche toujours une activité locomotrice en berne. Par contre, l'attirance pour les friandises n'est plus éliminée ! Les conditions idéales sont ainsi réunies pour la prise de poids. A taux soutenus de triglycérides, le cerveau s'adapte pour obtenir sa récompense, de façon similaire aux mécanismes observés lors de consommation de drogues.
Ces travaux, financés notamment par le CNRS et l'ANR, indiquent pour la première fois que les triglycérides d'origine nutritionnelle pourraient agir comme des drogues dures dans le cerveau, sur le système dit « de la récompense », contrôlant ainsi la composante motivationnelle et hédonique de la prise alimentaire.
Pour aller plus loin :
1 Hippocampal lipoprotein lipase regulates energy balance in rodents. Picard, A, Rouch, C., Kassis, N., Moullé, S,M, Croizier, S., Denis, RG., Castel, J., Coant, N., Davis, K., Clegg, DJ., Benoit S C., Le Stunff, H, Luquet, S., Prévot, V., Bouret, S., Cruciani-Guglielmacci, C., Magnan, C. Molecular Metabolism (2013).
Références :
Dietary triglycerides act on mesolimbic structures to regulate the rewarding and motivational aspects of feeding. Céline Cansell, Julien Castel, Raphaël G. P. Denis, Claude Rouch, Anne-Sophie Delbes, Sarah Martinez, Denis Mestivier, Brian Finan, Jaime G. Maldonado-Aviles, Merel Rijnsburger, Matthias H. Tschöp, Ralph J. DiLeone, Robert H. Eckel, Susanne E. la Fleur, Christophe Magnan, Thomas S. Hnasko, Serge Luquet. Molecular Psychiatry. 15 avril 2014
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