La E-nutrition : une multitude d’outils de qualité très variable

La E-nutrition : une multitude d’outils de qualité très variable
(je suis tout à fait d'accord avec cet interview)

Surveillance glycémique, informations sur les calories des aliments, suivi d’un régime... Une récente étude a passé au crible les applications nutritionnelles aujourd’hui proposées sur le marché. Bilan avec Jean-Pierre Loisel, sociologue, directeur des projets et partenariats à l’Institut national de la consommation.

Une multitude d’applications mobiles, de jeux éducatifs interactifs et d’objets connectés font leur apparition dans le domaine de la nutrition à destination du grand public. Comment expliquer ce phénomène ?

J.-P. Loisel. Le développement de ce nouveau marché depuis environ cinq ans est lié à celui des smartphones et des tablettes. À cela s’ajoute un contexte médico-social favorable, la nutrition étant devenue un enjeu majeur de santé publique avec l’augmentation de l’obésité et du surpoids depuis les années 1980. De plus, le grand public est fortement sensibilisé aux questions de nutrition, grâce aux mes sages nutritionnels du Programme national nutrition santé (PNNS). Enfin, les applications mobiles et autres objets connectés répondent à une idée très en vogue actuellement : celle du « self quantified », consistant à s’évaluer soi-même pour maîtriser sa santé. Ainsi le marché est en plein boum.
Vous avez mené une étude sur les applications nutritionnelles. Pourquoi cette initiative ?

J.-P. Loisel. Nous avons mené cette étude avec le soutien du Fonds français alimentation et santé (FFAS) afin d’évaluer la qualité des produits disponibles. Pour l’heure, le marché n’est pas régulé. Certes, la santé mobile peut constituer un outil pour favoriser une meilleure implication des patients dans leur prise
en charge et inciter à des comportements de prévention, mais il peut y avoir des dérives avec la diffusion de données non validées, voire des conseils non conformes aux préconisations des professionnels de santé.
Quelle a été votre méthodologie de travail ?

J.-P. Loisel. En partenariat avec le FFAS, nous avons sélectionné quinze applications en utilisant trois critères : leur popularité (plus de dix mille téléchargements), leur disponibilité sur iPhone, iPad ou système Android, leur diffusion en français. Sur les quinze applications, deux concernaient la perte de poids, trois l’aide au choix des aliments, et dix l’équilibre alimentaire. Nous avons procédé ensuite à trois types d’évaluation : technique (ergonomie de l’application ; pertinence des informations et des conseils) ; juridique (sécurité des données individuelles...) et une évaluation dite « comportementale » visant à savoir ce que recherchent les utilisateurs en choisissant de tels produits.
Quels sont les résultats principaux de l’étude ?

J.-P. Loisel. Neuf applications sur dix ne sont pas accompagnées de conditions générales d’utilisation. Un tiers ne mentionne pas le nom de l’éditeur. Une application sur deux (47%) ne donne aucune information sur l’utilisation des données personnelles (contrairement aux directives de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ainsi sur le plan juridique, on constate un manque évident d’informations. Concernant les valeurs nutritionnelles, seulement 13 % des applications proposent des données référencées. Pour trois applications
sur dix, il y a d’importants écarts avec la table Ciqual de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) sur les calories des produits. On peut donc se montrer très réservé sur la fiabilité de la grande majorité des applications. Autre dérive, pour trois applications sur dix concernant les régimes, l’utilisateur introduit directement son objectif (perte de poids) ainsi que le temps souhaité pour l’atteindre (temps du régime). D’où la possibilité d’établir des
objectifs dangereux comme une perte de 10 kg en dix jours. Objectif que certains utilisateurs n’hésitent pas à se fixer en l’absence d’accompagnement par des professionnels. Comme l’a montré notre évaluation sur les comportements des consommateurs, la plupart sont très naïfs et ne se posent aucune question sur la
validité des informations diffusées.
Quel serait votre message auprès des diététiciens ?

J.-P. Loisel. J’estime que 25 à 30 % des applications devraient être retirées du marché. Pour protéger les consommateurs, évidemment, l’idéal serait la mise en place d’un cadre normatif. Un projet qui pourrait devenir prochainement une réalité, puisque, suite à notre étude, un groupe de travail Afnor sera constitué en 2015 pour produire une norme encadrant le marché. Pour l’heure, aux diététiciens de rester vigilants en conseillant à leurs patients les applications les plus pertinentes. Certaines sont vraiment très bien conçues et peuvent être très utiles pour aider des personnes à suivre un régime sur le long terme.

Propos recueillis par Corinne Drault

Interview réalisée suite à l’intervention de J.-P. Loisel au colloque du FFAS du 20 novembre 2014 : « Vers une information à la carte ? Les enjeux de la dématérialisation de l’information sur les produits alimentaires ».

Pour aller plus loin :


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